Un guitariste entre en piste suivi par un autre. Le premier monte sur son instrument en équilibre. Le second fait de même. Une guitariste entre et les imite. Un quatrième en fait autant, puis un cinquième. Perchés sur leur guitare, ils changent de place pour faire face aux quatre murs du public, ils tournent sur eux-mêmes. Une petite tape dans le dos et (quasi) tout le monde tombe. Ils se déplacent par petits sauts et se rassemblent en cercle pour former un début de pyramide. L’un monte sur les épaules d’un autre qui tourne sur lui-même et en profite pour accorder sa guitare.
L’instrument, qui est mis à toutes les sauces et devient souvent accessoire improbable, constitue de fil conducteur du spectacle (il y en aura jusque 56 exemplaires, certains opérationnels, d’autres hors d’état, sur la piste) dont le point de départ a été une phrase du musicien Charly Sanchez, qui a composé la musique, à ses comparses : « vous faites ce que vous voulez mais vous ne touchez pas à ma guitare ». Et la musique est omniprésente, en intermède ou en accompagnement, et pas seulement la guitare. Voix, guitare, violon, contrebasse, trompette, en plus d’être circassiens, tous les intervenants ou presque sont multi-instrumentistes.
Les Dodos sont de gros oiseaux de l’île Maurice qui ont été exterminés par l’homme, ce qui n’est un exploit étant donné qu’ils sont incapables de voler – à l’inverse des voltigeurs - et un brin imbéciles. Le point de départ du spectacle est de parler de la survie et des états qu’elle implique, la peur, la conscience, l’inconscience, la naïveté, la raison. Ils sont cinq et ils doivent survivre. Chacun pour soi ou tous ensembles ? Se dessinent alors des rapports entre les personnes, entre celles qui se moquent d’une autre, celle qui est ballottée par les quatre autres, mais aussi celles qui s’épaulent les unes les autres, celle qui met toute sa confiance dans les mains de l’homme qui doit la rattraper... Main à main, voltige aérienne, acrobatie, anneaux chinois, portique coréen, les cinq Dodos expérimentent, affrontent leurs peurs, leurs maladresses, leurs forces, partagent, s’entraident avec un humour insolent (dont un clin d’œil appuyé au cirque traditionnel). De cette urgence de survivre naissent des exploits tout aussi inutiles que sublimes.
Avec une maîtrise parfaite de l’art circassien, les Dodos enchaînent les numéros époustouflants, impressionnants, drôles, voire poétiques. Le musicien Charly Sanchez s’est d’ailleurs mis à l’acrobatie spécialement pour ce projet. Et même s’il joue à certains moments le rôle de souffre-douleur, il s’en sort avec brio et sans jamais mordre la poussière. Le spectacle se termine sur une standing ovation amplement méritée.
Samedi 24 novembre 2018, par
Cirque : la guitare devient agrès
« Les Dodos » des acrobates français du P’tit Cirk est un impressionnant spectacle de cirque et de musique, avec la guitare comme fil conducteur. Il traite de la survie, parle d’affronter ses peurs, de se dépasser, mais aussi de s’entraider. Ce travail collectif, ce qui est en soi un message la survie ne pouvant qu’être collective, est une perle rare.