Samedi 6 janvier 2007, par Xavier Campion

Caroline Von Bibikow

Pro de l’impro, elle revisite Salomé pour les plus petits

Pro de l’impro, elle revisite Salomé pour les plus petits

Caroline Von BibikowDepuis près de 20 ans, elle se passionne pour l’impro. Elle a plus de 450 matches d’improvisation à son actif (jouteuse puis arbitre chez les amateurs, elle entre 2 ans plus tard à la Ligue d’Improvisation Belge). Elle y est aujourd’hui Responsable de la Coordination Pédagogique. À côté de cela, elle fait encore et toujours partie du staff d’arbitrage pour le plus grand bonheur de ses fans. Qu’on ne s’y trompe pas, l’arbitre impitoyable de sévérité nous réserve aussi de belles surprises de tendresse.

Quelles sont les qualités requises pour faire un bon improvisateur ?

D’abord il faut avoir envie d’apprendre, parce que la capacité à improviser n’est pas innée. C’est avant tout l’écoute, la capacité à élargir et à renouveler sans cesse chaque palette de jeu qui importe ; dès lors, il convient de se cultiver, de rencontrer des univers différents, des gens différents, afin de pouvoir proposer chaque semaine des personnages et des univers variés en match. Enfin la capacité d’acceptation pour pouvoir jouer avec les autres, parce qu’il y a d’excellents improvisateurs qui jouent très bien tout seuls, mais où cela ne va plus du tout dès qu’ils sont face à un autre… parce que construire une histoire à deux c’est vraiment une question de partage, d’acceptation, de “ qu’est-ce que l’autre amène dans mon histoire ? comment puis-je recevoir ça, l’amplifier et rebondir là dessus ?” En bref, écoute, acceptation et renouvellement.

Que doivent savoir les comédiens qui voudraient se faire recruter par la LIB ? [1]

Chaque année en septembre, la LIB organise un stage d’initiation ouvert à tous les étudiants sortants et à tous les comédiens, professionnels en tout cas. On l’appelle stage et non casting, parce qu’on passe tout un week-end avec les comédiens qui ont envie de s’adonner aux plaisirs de l’improvisation, pour leur en donner le goût et leur montrer de quoi il s’agit dans cette pratique. Et au bout de ce stage, il y a effectivement des gens auxquels on propose de rejoindre la Ligue pour la saison. C’est sûr que de venir se présenter à ce stage en ayant déjà un bagage artistique derrière soi et l’expérience de jeu et - ou des planches va faciliter la compréhension de ce qui est demandé, puisque l’impro qu’on propose ne ressemble absolument pas aux cours d’impro qu’ils ont pu avoir précédemment. On recherche plutôt l’expérience théâtrale, ce qui va faciliter leur intégration. Ils peuvent avoir une expérience d’impro, parce qu’il y a une fédération d’impro qui est très développée et il y a beaucoup de jeunes comédiens de la LIB qui sont passés par là. Le fait est que les exigences artistiques ne sont pas les mêmes à la FBIA [2] qu’à la LIB. Curieusement, il arrive, mais pas toujours, que ceux qui ont une trop grande expérience de la FBIA ont du mal, parce qu’ils doivent remettre en question toutes leurs bonnes ficelles pour pouvoir s’épanouir chez nous.

Caroline Von Bibikow

Beaucoup d’improvisateurs chéris du public sont passés par la FBIA : Erico Salamone, Victor Scheffer, Jean-Claude Dubiez, ou Virginie Hocq… Mais de façon plus générale, je me rends compte qu’on retrouve souvent - sur les planches, sur la toile ou dans le tube - un très grand nombre d’artistes qui ont jouté dans votre patinoire. Et parmi ceux-ci il y a d’excellents comédiens, des metteurs en scène, des auteurs... certains même enseignent dans nos académies ou conservatoires. Peut-on dire que la Ligue est une vitrine ou un tremplin ?

La Ligue a plusieurs atouts. Elle offre un atelier de travail et de recherche. Nos 40 comédiens-improvisateurs s’entraînent chaque année de 1 à 3 x par semaine depuis le mois d’octobre jusque fin mars. Ils ont donc cette possibilité de rester actifs et en recherche et d’être dans un bain de travail durant toute une saison. Mais ce n’est pas le lieu où viennent les metteurs en scène ou les directeurs de casting pour faire une recherche de comédiens. Par contre comme c’est la rencontre de 40 comédiens, il arrive très souvent qu’au sein même de la Ligue, des projets naissent et puis se concrétisent, simplement parce qu’il y a ce contact continu qui favorise un brassage d’idées.

Je pensais plutôt à des annonceurs, des publicitaires qui, par le biais des matches d’impro, remarquent tel ou tel comédien, ou alors à un certain public qui ayant aimé un ou plusieurs jouteurs de la LIB se met à les suivre dans le parcours purement théâtral.

C’est très vrai pour la 2e partie de la question en ce qui concerne les jeunes. À chaque représentation, nous avons des groupes scolaires, et pour les ados, c’est un super bon moyen de devenir spectateur de théâtre. Ils commencent par aimer un spectacle ludique et interactif qu’ils zappent – comme les jeunes le font – parce qu’il y a 13 histoires plutôt qu’une… Oui, ces jeunes-là on les retrouve dans les théâtres pour aller voir les héros de leur adolescence.
En ce qui concerne la pub, c’est rarissime qu’il y ait un marché des comédiens même si cela arrive, mais on n’est pas du tout là-dedans et heureusement ! Parce qu’en France, ce n’est que cela et donc les joueurs se poussent des coudes pour se mettre en valeur parce qu’ils savent que tel ou tel directeur de théâtre ou de pub est dans la salle. Résultat : ce n’est plus du tout un jeu d’équipe qui profite à l’histoire. Donc heureusement pour notre public qu’on n’en est pas là chez nous.

Justement, quel est votre public ?

C’est un public très varié qui - même si on compte chaque année quelques habitués ou aficionados - fort heureusement se renouvelle puisqu’il répond présent à l’appel depuis 23 ans ! Ce qu’il y a de particulier à la LIB, c’est que 40% de notre public vient d’au dehors du grand Bruxelles. Il vient de partout : Tournai, Namur, Arlon, Anvers (!) et pas seulement des grandes villes… 40%, c’est énorme par rapport aux théâtres, qui eux, vont parfois en tournée… La Ligue ne se déplace pas parce que le spectacle revient très cher (montage, démontage et transport) mais les gens se déplacent volontiers !

Peux-tu nous parler des formations que tu donnes à des professeurs du secondaire ?

Après avoir pratiqué l’impro pendant quelques années moi-même, après avoir coaché et formé des adolescents et puis des adultes amateurs, petit à petit, le lien s’est fait assez naturellement sur “ tiens, mais les exercices qu’on pratique pour se préparer à faire de bonnes impros peuvent servir à bien d’autres choses”
Si - par définition - on ne prépare pas ce qu’on va improviser, par contre on se prépare à pouvoir jouer correctement par des exercices de stimulation de l’esprit, du corps, des associations d’idées, de constructions d’histoires, etc. Or, tous ces exercices présentent des atouts qui peuvent servir à un public bien plus large que les comédiens ou les seuls amateurs d’improvisation. Impro-Profs existe maintenant depuis 5 ans. On travaille sur la manière de pouvoir appliquer nos exercices ludiques pour favoriser l’apprentissage des élèves du secondaire. Et cela, tout en sachant qu’on forme ici des professeurs, que notre but n’est pas de les amener à animer des ateliers d’impro seulement pour l’impro, mais bien de leur permettre d’utiliser ces exercices de préparation avec d’autres desseins qui permettront aux élèves de mieux intégrer certaines matières comme les langues étrangères, la grammaire, des parties de l’histoire, de la littérature etc.

Caroline Von BibikowEn fonction du public de profs (éducation physique, français, sciences …) les exercices varient un peu, mais les objectifs restent les mêmes. Voilà, former des profs et leur donner des outils pour qu’eux-mêmes puissent les réutiliser avec leurs élèves et devenir créatifs en réinventant leurs cours, est devenu un de mes grands passe-temps favoris !

En consultant ton CV surhttp://www.artchi.be , j’ai pu voir que tu avais suivi d’autres formations. Est-ce qu’elles t’aident aussi dans le cadre de Impro-Profs ?

Oui, pendant 4 ans, j’ai suivi une formation en communication relationnelle dans la mouvance de la communication non-violente et qui s’articule principalement sur la méthode E.S.P.E.R.E. de Jacques Salomé.

Et oui cela m’aide, car ce qu’il propose à travers ses outils et ses méthodes n’est pas éloigné de ce qu’on attend et demande aux improvisateurs ou aux professeurs. Quand je donne des formations en impro, je peux m’appuyer sur des fondements plus théoriques pour faire passer des règles de communication relationnelles qui vont fluidifier les rapports et cela qu’il s’agisse de comédiens, de profs ou voire même d’industriels. Et ça fait du bien partout.

Caroline Von Bibikow
Ce même site parle aussi de ton spectacle destiné aux enfants de 4 à 9 ans : “Contes à cueillir, Contes à mûrir”.

Ce spectacle est né d’une envie. C’est comme cela que je fonctionne tout le temps. À 16 ans j’ai assisté à mon premier match d’impro au Mirano et ce jour-là, je me suis dit : “ Je veux me retrouver au milieu de cette patinoire ”. Donc je me suis inscrite dans une équipe d’amateurs (à l’époque il n’y en avait que 4 !), ce qui nous a donné l’occasion de rencontrer des Québécois bien plus aguerris que nous et d’aller les retrouver au Québec. De fil en aiguille, 2 ans plus tard pour le Mundial de 1990 à Bruxelles, je me retrouvais bien au milieu de ladite patinoire [3] !

Vingt ans plus tard, j’ai lu les contes de Jacques Salomé et je me suis dit “ Ça, je veux dire sur scène ”. Je pense y avoir trouvé des mots que j’aurais aimé entendre quand j’étais petite. Du coup j’ai eu besoin de les dire. C’est la première fois que j’ai eu une réelle envie de transmettre quelque chose qui me tient à cœur sur scène. J’allais donc pouvoir m’adresser à de jeunes enfants et partager avec eux ce que j’ai envie de partager aujourd’hui avec les miens.

C’est ainsi que j’ai fait tout un travail de réadaptation à partir de ces contes qui, s’ils sont lisibles, ne sont pas dicibles. Conquis, Jacques Salomé m’a donné son aval pour l’adaptation, et il a aimé le spectacle. Ces contes parlent de sujets universels qui touchent aux grandes émotions de la vie — et pas à la problématique d’une personne particulière — car il ne faut pas que les enfants repartent du spectacle avec des peurs qu’ils n’avaient pas. Au contraire, mon but est qu’ils repartent avec des ressources nouvelles et qu’ils puissent se dire que s’ils ne peuvent pas changer les événements, peut-être qu’ils peuvent changer la relation qu’ils ont avec cet événement . C’est ainsi que je me suis rendu compte que pour parler aux enfants de sujets qui paraissent tabous comme la mort, le divorce, l’adoption — pour lesquels on ne sait pas toujours quels mots utiliser — eh bien, que finalement les meilleurs mots sont les plus simples et que les enfants ont envie de parler de ces sujets-là. Mon spectacle leur permet de s’exprimer librement par le dessin, le geste et la parole au cours des 2 ateliers qui leur sont proposés immédiatement à l’issue de la partie théâtrale. À chaque séance, en Belgique comme en France, c’est chaque fois un moment magnifique parce qu’il y a plein d’enfants à qui je laisse la parole et l’espace de se dire dans leurs désirs, leurs peurs, leurs angoisses, leur amour de la vie aussi… Et puis il est gratifiant de voir que les accompagnants adultes — instituteurs ou parents — sont agréablement surpris en constatant que soudainement quelques portes s’ouvrent… Voilà, j’ai mis beaucoup d’amour dans ces contes et ils me le rendent bien.

Merci Caroline

Interview 7/1/2007 : Nadine Pochez

Notes

[1Ligue d’Improvisation Belge

[2Fédération Belge d’Improvisation Amateur

[3Pour tous les matches comme assistante arbitre