Bruissements, ambiances surréalistes, objets dénaturés, photographies en mouvements... changements d’état... l’art irlandais a la particularité d’accepter des sens multiples, d’ouvrir le débat idéologique.
28 œuvres sont rassemblées pour une exposition unique avec pour fil conducteur la perception d’une esthétique universelle en symbiose avec un monde en évolution. Déconstruction des médias, activisme, chamboulement du sens : les supports vont de la peinture et de la sculpture à la photographie, l’art vidéo et les nouveaux médias.
20 artistes émergents ou à mi- carrière sont réunis pour un show qui ne peut vous laisser indifférent.
Parmi d’autres, citons Orla Barry qui s’adresse aux médias en jouant avec la sémantique, le langage pictural, dans un mélange de performance, de sculpture et de composition sonore. Mountain est un show visuel où des scénarios sont improvisés sur des tableaux formés à partir de 36 mots choisis pour démontrer leurs significations multiples et la manière dont ils conditionnent le monde.
Gerard Byrne retranscrit sous forme de films, diffusés simultanément sur trois écrans, un panel de discussion publié dans Playboy en 1973. L’ensemble est programmé de manière à mélanger les séquences des dialogues selon les lois du hasard.
Eulogy to a Blank page de Gavin Murphy est une section d’un dialogue de 8 ½, le fameux film de Fellini. La vidéo permet d’explorer le film, le temps et l’espace.
Créer des relations entre des éléments disparates de l’histoire, de la culture populaire, de la science-fiction et le désir de laisser les objets raconter leur propre histoire, c’est ce que tente Alan Phelan tout en explorant l’insécurité humaine.
Alors que les peintures de Barrie Maguire commémorent certains épisodes de la violation des droits de l’homme, Paul Seawright s’intéresse à travers ses photos aux paysages postcoloniaux de l’Afrique sub-saharienne. Sur le modèle des Cités invisibles d’Italo Calvino qui se sert de cités fictives pour cerner Venise, Seawright explore Belfast, sa ville à travers d’autres villes du monde.
Richard Mosse se sert dans Aerochrome d’un film infra-rouge utilisé à l’origine par l’armée pour créer un dégradé de roses et revisite ainsi la photographie de guerre.
Il est impossible de faire le tour de toutes les propositions mais l’exposition se veut vivante, ancrée dans les réalités et riche en inventions esthétiques.
L’événement majeur de cet ensemble est la présentation du studio-atelier de Francis Bacon avec quelques-unes de ses toiles inachevées dont celle de George Dyer avec lequel il eut une relation difficile.
Son enfance à Dublin a profondément influencé le langage visuel de cet artiste inclassable dont le langage introspectif s’est rapidement imposé comme un des plus puissants du 20ème siècle.
Son atelier, lieu inviolable de son vivant, fut entièrement reconstitué en 1998, 26 ans après la mort du peintre, par John Edwards, son dernier amant et héritier, avec ses 7500 objets et l’ensemble fut présenté au public en 2001.
Véritable capharnaüm, le studio révèle le processus de travail de Francis Bacon, sa manipulation des photos et son observation des études du photographe Eadweard Muybridge sur les corps humain et animal en mouvement.
Il avait coutume de dire : « Je me sens chez moi ici dans ce chaos car le chaos suggère des images ». Très influencé par les lieux, son œuvre se caractérise par une habileté à rendre présent ce qui précisément est absent.
Personnalité complexe, son art est à l’image de sa vie : mouvementé. Lorsqu’on lui demandait ce qui le touchait, il répondait : « La beauté, rien que cela. Surtout celle des hommes mais pas quand ils changent. J’aime la beauté masculine ». Bacon utilisait de préférence ses amants comme modèle tout en s’excusant de les endommager en les peignant. Pour cette raison, il engagea John Deakin, le photographe de Vogue pour faire des portraits de ses amis peintres, Lucien Freud et Isabel Rawsthorne ou de ses amants parmi lesquels George Dyer et Peter Lacy, préférant ne pas peindre en leur présence.
Véritable mystère pour les siens, il quitta sa famille à l’âge de 16 ans après une violente dispute avec son père qu’il décrit comme un être "vindicatif, agressif et froid". Il avoue « craindre la violence parce qu’il l’a subie toute sa vie ». Sa préoccupation : peindre les émotions. « Lorsqu’on aime quelqu’un, on veut être proche de lui, mais comment peindre cela ? »
Son atelier, véritable fourre-tout, est encombré de pots, de caissettes, de brosses, de pages arrachées à des magazines couchées à même le sol – reproductions de tableaux, de photos de guerre, de scènes de crimes, de maladie de la peau, de stars de cinéma, d’athlètes, d’animaux sauvages, de photos de ses amants… On y découvre aussi sa fascination pour de grands maîtres comme Picasso qui lui inspira sa passion pour la peinture ou Michelangelo, Van Gogh ou Vélasquez dont Le portrait du pape Innocent X a manifestement influencé une de ses œuvres. Tout comme Le cuirassé Potemkine du cinéaste Eisenstein lui procure de telles sensations qu’il reproduira à plusieurs reprises l’éclaboussure de sang sur le visage de la nourrice.
Le film d’Adam Low, Bacon’s arena, considéré comme le documentaire par excellence de la vie de Bacon, livre un portrait attachant et émouvant de cet être secret, violent et craintif à la fois, dépendant de ses sentiments et de l’alcool, mais dont les portraits et les compositions sont nourris de formes inspirées de sensations intimes.
Palmina Di Meo