Mangeur d’étoiles, bourré d’humour et de retenue, homme de qualité, grand maître du seul en scène sans une minute d’ennui ou l’ombre d’une gesticulation, καλὸς κἀγαθός, est-il un gentleman anglais, ce Michel Kacenelenbogen qui endosse l’espace d’ un soir, la personnalité complexe de Romain Gary, héros de guerre, consul de France, écrivain prolifique et énigmatique ? Au pire moment, son interprétation bouleversante du lien mère-fils, laissera le visage simplement baigné de larmes. Les spectateurs émus, le visage saoulé de tendresse, redescendent les escaliers de la salle, la plupart en silence, le sourire aux lèvres, l’amour diamant fiché dans le cœur.
Le mystérieux Romain Gary dans « La promesse de l’aube » fait revivre son enfance échevelée en 400 pages d’amour absolu pour sa mère, Nina. Couvé par un regard émerveillé, il a été porté et enivré par un amour maternel inconditionnel. Pour lui, elle est le tout ! Et pourtant, indomptable, colérique, héroïque, intraitable, possessive, se mêlant de tout, elle en fait trop, en tout, et tout le temps. Il en est conscient à chaque étape. Son seul rêve est d’essayer de ne pas la décevoir, mais la barre est bien haut. De la Russie, à Paris, puis en Pologne et enfin à Nice, elle n’en finit pas d’accoucher du prince de ses pensées qu’elle ne cesse d’auréoler et d’aduler, quelles que soient ses déboires pécuniaires. Déterminée, porteuse de ses ambitions, envahissante au possible, omnisciente, omniprésente, filivore, sa génitrice adorée …et parfois haïe est le modèle absolu de la Femme pour Romain Gary. Elle est amour, compassion et tendresse. Elle est Christique, et juive. Seule en ligne dans l’éducation de son fils unique, elle surmonte tous les obstacles, lui offre la meilleure éducation, elle vante ses mérites imaginaires, lui rêve son avenir professionnel, encourage sa vie amoureuse, et projette sur lui son idéal masculin. Ce fils est sa victoire, et pas seulement une promesse.
« Ecoute-moi bien. La prochaine fois que ça t’arrive, qu’on insulte ta mère devant toi, la prochaine fois, je veux qu’on te ramène à la maison sur des brancards. Tu comprends ? » lui dit-elle, en lui administrant les premières gifles de sa vie. Il a dix ans et devient le chevalier protecteur de sa mère. A plusieurs reprises, il a pourtant senti la honte du ridicule et l’humiliation l’envahir devant les autres. La passion se mêle alors à la douleur.
« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !
Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là.
Mais, alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports : - Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »
Une chose est certaine, c’est elle qui lui a transmis sa force et sa fierté démesurée. Sa dernière lettre en témoigne : « Sois dur, sois fort et continue… » Souligné trois fois. Quel viatique !
Elle est signée Itsik Elbaz, lui qui a joué Momo aux côtés de Janine Godinas dans « La Vie devant soi ». Une mise en scène au naturel, comme s’il n’y avait pas de scène, juste de la confidence pleine de pudeur, adossée à la tôle ondulée d’un hangar sur lequel courent des lucarnes de promesses et des images fugaces de temps et de lieux. Et, au détour de passages particulièrement émouvants, naît parfois la lumière intérieure de merveilleuses musiques diaphanes, belles comme des berceuses… russes dans l’âme peut-être.