En 2007, j’assiste, dans un KVS tout nouvellement inauguré, à Missie, sublime seul en scène écrit par David Van Reybrouck. Devant moi, décor nu seul habité d’un pupitre fragile. Et derrière ce pupitre, comédien au corps encombré, Bruno Vanden Broecke, magistral, campe un missionnaire qui déroulera, pendant un peu moins de deux heures, sa vie. Époustouflant. Universel. Lointaine Afrique présente soudain par la force de l’évocation, proche Flandre qui d’un coup s’éloigne. Spectacle coup de poing, il me remuera les tripes. Je le reverrai trois fois. Je ne suis pas la seule ; huit ans plus tard, il est encore joué, en Belgique et au-delà, continuant d’émouvoir et de susciter le débat.
Mais, au fait, pourquoi revoir un spectacle ?
Parce qu’à nous, spectateurs, il nous fait ressentir des émotions, nous emmène en voyage, nous fait comprendre, nous transporte. Parce que nous voulons voyager encore, être émus encore, comprendre plus encore, et aller toucher encore ces sensations, agréables ou non, ressenties, fortement, une première fois. Et aussi parce que parfois, cette confrontation renouvelée permet de prendre enfin une distance intellectualisée et nécessaire.
Succès garanti
Plaisir typique du spectateur que cette addiction à la répétition d’émotions. Plaisir qui influence, forcément, les directeurs artistiques et leur programmation. Comme le confirme d’ailleurs Isabelle Jonniaux, directrice artistique de l’Atelier 210 : « Nous programmons de nouveau des spectacles d’abord et avant tout pour leurs qualités artistiques. Ce sont des spectacles qui ont rencontré le succès. »
Même son de cloche au TTO, qui ne reprogramme que les « spectacles ayant affichés sold out lors d’une précédente saison ». Cette saison, on pourra ainsi revoir Dernier coup de ciseaux, pièce interactive façon Cluedo, made in US, entrée au Guinness, rubrique longévité, ou Cendrillon ce macho, pièce à buzz signée Sébastien Ministru, spectacle phare du lieu, testé, retesté et approuvé chaque fois, reprogrammé même pour la grande fête des 20 ans du théâtre.
Presse et prix jouent leur rôle également ; comme pour l’énergique et très beau Elle(s), kaléidoscope féminin et féministe de Sylvie Landuyt, double prix de la critique 2014, et l’émouvant autant que drôle Loin de Linden, succès aux Doms cet été, repris chacun au Rideau de Bruxelles.
Focus et collaborations
Aux Tanneurs, à l’identité forte et fortement revendiquée de lieu de création, le discours est un peu différent. Ici, les pièces rejouées ont généralement été créées ailleurs. Histoire de conserver l’atout découverte auprès du public. Les reprises « maison » s’inscrivent, elles, dans un cadre bien précis : focus ou festival. Comme pour Mas-Sacre, de Maria Clara Villa Lobos, créé en 2014 et rejoué au D Festival au mois de juin. Ou Ondine (demontée), classique de Jean Giraudoux « explosée » par Armel Roussel la saison passée et reprise dans le focus d’anniversaire d’[e]utopia, compagnie de l’artiste associé au lieu.
Car ce lien fort entre un lieu et un artiste justifie aussi parfois la reprise, ou tout au moins le traitement spécifique de sa pièce dans le lieu en question. Comme au Théâtre Varia, qui entretient une relation particulière avec Benoît Verhaert, lequel propose chaque saison des spectacles tout public, adjoints d’un volet pédagogique, permettant l’ancrage du spectacle parmi les jeunes spectateurs. Une essentielle mission d’éveil à l’art, renouvelée cette saison avec la reprise du On ne badine pas avec l’amour créé l’an dernier et dont le volet pédagogique s’inscrit cette année à travers l’action « Sur les planches » de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Rencontre des publics
Outre les qualités avérées d’un projet - ou peut-être à cause d’elles - il arrive aussi qu’un directeur artistique décide de reprendre un spectacle - qu’il ait été créé chez lui ou non - parce qu’il estime qu’il n’a pas rencontré suffisamment ses spectateurs. Soit que la série de représentation ait été courte - c’est le cas de Bleu Bleu de Stéphane Acras, tableau d’une jeunesse désabusée et exaltée, au Varia. Soit qu’une prolongation d’une série qui cartonnait n’était logistiquement pas envisageable - comme pour Liebman renégat, seul en scène de et avec Riton Liebman, au succès indéniable, toujours au Varia. Soit qu’on n’avait pas estimé l’impact sur un public en particulier. C’était le cas d’Alice, mise en scène par Ahmed Ayed à l’Atelier 210 en 2014 et repris début de saison, dont l’équipe n’avait pas prévu l’impact sur les scolaires. « Le reprendre a été l’occasion pour nous de démarcher, avant le début des représentations, auprès de ce public en particulier. En leur notifiant le bon écho de ce type de public lors de la création », confie la directrice artistique du lieu.
Construire une histoire
Enfin, sentiment pour sentiment, la reprise signe parfois, souvent, la fin de la tournée « at home » pour les pièces qui ont cartonné. J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin de Jean-Marie Piemme, Philippe Jeusette et Virginie Thirion en scène, est de celle-là, rejouée là où elle a débuté en 2013, au Varia.
Boucle bouclée, mais aussi, création de liens privilégiés entre un lieu, son public et les artistes. Ce fut le cas, à l’Atelier 210, avec Eno Krokanjer et Hervé Piron. Leur pièce Petit déjeuner orageux uns soir de carnaval, créée là-bas, y a également achevé sa tournée, suite à laquelle leur nouveau projet C’est toujours un peu dangereux de s’attacher à qui que ce soit a été accueilli pour ouvrir la saison théâtrale du 210. Histoire pour le lieu d’asseoir un coup de pouce, un feeling esthétique.
Et il y a (encore) plus. Comme le souligne Isabelle Jonniaux, « quand un spectacle revient de tournée, il est meilleur, plus abouti. Il a rencontré son public. Dans le cas d’Hervé et Eno, leur duo s’était confirmé. Le travail continue dans les représentations. » La reprise signe alors dans ce cas un véritable amortissement artistique.
Car, oui, la reprise sert la création, et le travail des artistes en général. « Faire revenir une pièce donne la possibilité aux artistes d’aller plus loin dans leur démarche », souligne encore Isabelle Jonniaux. « Il ne faut pas oublier non plus qu’un spectacle, c’est parfois deux ans d’investissement, en énergie, en argent, en personnes. Tout ça pour des séries de représentations de plus en plus petites. »
Dès lors, il est pertinent, essentiel même, de revenir à la scène, pour l’artiste comme pour le producteur ; la reprise étant dans ce cas un maillon de la vie économique du spectacle.
Dans une forme extrême de ce travail sur le long cours, il arrive que les acteurs décident eux-mêmes de leur reprise… ou d’une sorte de reprise. Ce sera le cas avec Si tu me survis, au Varia, par le Clinic Orgasm Society - Mathylde Demarez et Ludovic Barth aux manettes et en scène.
Le duo déjanté - à qui l’ont doit les excellents J’ai gravé le nom de ma grenouille dans ton foie, leur première OTNI (objet théâtral non identifié), DTC (on est bien) ou encore la trilogie Pré-Blé-Fusée - propose cette fois une pièce sur la vie, le temps qui passe, les gens qui changent… destinée à être rejouée, ou en tout cas retravaillée, dans 30 ans. Le rendez-vous est pris. S’ils se survivent…
A l’économie de la vie, le théâtre a parfois de belles réponses.
A VOIR ET REVOIR
NT Gent | www.ntgent.be
» Missie, les 02 et 03/02Théâtre de la Toison d’Or | www.ttotheatre.be
» Dernier coup de ciseaux, du 13/04 au 28/05
» Cendrillon, ce macho, le 11/06Théâtre Les Tanneurs | www.lestanneurs.be
» Ondine (démontée), du 12 au 16/04
» Mas-Sacre, en juin au D FestivalRideau de Bruxelles | www.rideaudebruxelles.be
» Elle(s), du 12 au 23/01
» Loin de Linden, du 02 au 17/02, date supplémentaire le lundi 08/02 à 20h30Théâtre Varia | www.varia.be
» Si tu me survis, du 21/01 au 06/02
» On ne badine pas avec l’amour, du 22/01 au 06/02
» J’habitais une petite maison sans grâce, j’aimais le boudin, du 16/02 au 05/03
» Bleu Bleu, du 17 au 25/03
» Liebman renégat, du 26/04 au 07/05