Un homme et une femme sont attablés, manifestement, au réveil. Il parle flamand, elle français. Ils se comprennent, presque toujours. Il lui demande son programme du jour, elle va à Paris écouter Thomas Piketty et Paul Jorion (respectivement économiste français et expert financier belge, pour résumer). Il lui raconte un rêve où, dans une pièce aux murs jaune et noir, il a vu sa mère et son grand-père fasciné par Degrelle. Il exprime sa sensation que la guerre n’a jamais fini mais se poursuit sous une autre forme.
On enchaîne sur le dialogue, à l’antenne, des deux sommités où Paul Jorion explique, entre autres, que l’espèce humaine pourrait s’éteindre d’ici trois générations pour des raisons écologiques, financières et du fait des machines qui réfléchissent par elles-mêmes. Thomas Piketty souligne, pour sa part, que la consommation de masse appauvrit les masses réactivant les inégalités du passé et plaide pour un modèle social qui régule les inégalités (pour résumer).
Retour au couple, plus ancré dans le quotidien, sur fond de musique douce et de chants d’oiseaux. Il jardine en devisant sur la Belgique et ses multiples frontières, la violence politique et les étrangers riches et les étrangers pauvres qui y sont « accueillis ». De retour de Paris, elle lui annonce son trouble d’avoir rencontré un ami d’enfance, son premier amour, à l’aéroport. Et son envie de faire sécession du couple. Il tente de la retenir, en vain.
La coexistence (pacifique) entre ces deux-là, issus de cultures différentes, vient d’atteindre ses limites. La suite ne sera que déchirement, incompréhension et violence ponctuée d’autres échanges entre les deux penseurs de l’économie politique qui soulignent les errements de notre monde actuel qui se prépare au deuil de l’humanité. La planète brûle et il s’en trouve encore qui chipotent sur des questions linguistiques (pour rappel ou pour les non-initiés, les Belges sont arrivés à la récente Cop 26 en ordre dispersé, les différents gouvernement régionaux n’ayant pu s’entendre sur un même objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre).
Le message de l’auteur et metteur en scène, Laurent Plumhans, n’est pas optimiste, loin s’en faut. L’humanité va droit dans le mur (le nom de sa compagnie, d’ailleurs), à la manière d’une voiture de crash test dans laquelle seraient assis des êtres humains. Mais il le traite avec énormément d’humour (la politesse du désespoir), une qualité d’écriture et la lucidité nécessaires pour envisager une fenêtre qui permette de sortir la tête de ce marasme.
Il faut parfois s’accrocher lorsque l’on passe de la réalité du couple aux projections des conférenciers (surtout si Paul devient Thomas ou qu’arrive un certain Bernard), les deux comédiens assumant tous les rôles. Ils sont d’ailleurs remarquables d’énergie et de justesse dans cet exercice. Émilie Maréchal est Française et manifestement plus douée pour la flûte à bec que pour les langues. Benjamin Op de Beeck est Flamand et manie mieux différents idiomes que l’instrument mais se distingue particulièrement dans on interprétation de « Laat me niet alleen ».
Didier Béclard
« J’ai été éduqué de manière autoritaire et francophile » de Laurent Plumhans, avec Émilie Maréchal et Benjamin Op de Beeck, jusqu’au 4 mai au Théâtre Marni à Bruxelles, 02/639.09.82, www.theatremarni.com.