Anne Nivat s’inscrit dans la lignée des grands reporters qui sont aussi écrivains. En lisant ses livres on songe à Albert Londres, Joseph Kessel…ou plus proche de nous, à son amie Ana Politovskaïa, assassinée lâchement pour ses témoignages sur la guerre de Tchétchénie.
Après l’Afghanistan et la Tchétchénie, Anne Nivat s’est rendue à Bagdad à deux reprises en 2007. Ce voyage faisait suite à un premier reportage qu’elle y avait effectué en 2004. Revêtue d’une abbaya noire, elle est allée à la rencontre d’hommes et de femmes à travers qui elle témoigne.
Anne NIVAT se définit elle-même comme un témoin parti à la recherche de « l’émotion et la sincérité ». En évoquant son amie Anna Politovskaïa, elle nous propose une clé de compréhension de sa démarche : « faire partager au plus grand nombre l’enfer vécu au loin ».
Et pour cela, il faut aller sur place et trouver par le livre, une arme pour « se battre contre la banalité », donner à voir « the other side of the war ».
Elle choisit de raconter par le livre, plutôt que par l’image et le son, parce que Bagdad (tout comme auparavant la Tchétchénie et l’Afghanistan) demandent de la « lenteur pour envisager leur complexité ».
Elle dédie son récit à son fils, Louis, qui saura ainsi « où je disparaissais pendant sa première année ». Dans cet entretien avec Edmond Morrel, elle évoque sa méthode de travail : prendre des notes, ne pas enregistrer, puis, chaque soir recopier les notes jetées sur le carnet moleskine, les traduire lorsque les entretiens ont lieu en anglais ou en russe.
Le livre, partagé en treize chapitres, s’échafaude ainsi sur une succession de portraits d’hommes et de femmes qu’elle interviewe, escortée par son ami-interprète Ali, chez qui elle réside, en « zone rouge »…cette zone qui donne son titre au livre, par opposition à la zone verte, zone réservée aux étrangers à Bagdad. Une fois refermé le livre, vous n’ oublierez plus ces Bagdadis :
un médecin ORL, l’occasion d’évoquer l’omniprésence des armes et de la violence…ainsi les jouets Kalachnikof si bien imités que des soldats ont tiré sur des enfants qui jouaient avec ces armes en plastique… ;
Assil, jeune femme médecin avec qui Anne NIVAT quitte Bagdad pour la province…et qui, à la fin du livre s’indigne de ce que les étrangers n’envisagent d’autre alternative pour l’Irak que « la dictature ou l’occupation militaire » ;
Le père Mirkis, qui évoque Chaplin, Cervantes et François d’Assise publie envers et conter tout « la pensée chrétienne » et qui publie une revue en français « Araméens chrétiens », dont le premier numéro est sorti en mars 2008.
Qualim, un artiste qui organise le « prix des jeunes artistes irakiens »
Mais la guerre est partout...« Si on a parfois l’impression qu’il ne se passe rien, c’est parce qu’il ne nous arrive rien, et c’est toujours la même attente lancinante, menée en routine de cauchemar… »
Ce récit se lit d’une traite, comme si le lecteur prenait la place de ce « Je » qui s’adresse à Anne Nivat tout au long de son livre…Par les portraits qu’elle réalise de ces femmes et de ces hommes le lecteur ressent la guerre, la violence, l’absurde danger, le courage aussi de ces Bagdadis qui vivent malgré tout. Anne Nivat nous donne aussi connaître les enjeux et les menaces qui pèsent sur la région : l’ignorance des occupants, les bombes à retardement que sont les régions pétrolifères du Kurdistan ou les flux migratoires des réfugiés qui ne croient plus à l’Irak.
Anne Nivat redonne ses lettres de noblesse au livre-témoin:le livre par la lenteur revendiquée permet d’appréhender la complexité des choses, de se les représenter.
Dernière phrase du livre. Anne Nivat est de retour à Paris :
« Bagdad est désormais derrière toi. Il va falloir t’en délivrer réellement, en commençant par le plus dur :raconter. Car raconter, c’est tout revivre à nouveau… »
Anne Nivat vient de retourner à Bagdad.
Elle en a ramené un film dans lequel vous verrez certaines figures du livre. Assil et Mirkis sont toujours en Irak, cette prison aux multiples murailles infranchissables : la misère matérielle, les préjugés machistes, le fardeau des traditions, les chaînes de l’intolérance.
Le film s’achève sur une métaphore d’espoir, un espace de liberté où ils se retrouvent : une université chrétienne ouverte par le Père Mirkis où sont dispensés des cours de philosophie !