Lundi 10 mars 2014, par Palmina Di Meo

AS SWEET AS IT GETS

Une vision de notre quotidien entre « meilleur des mondes » et désespoir

Jusqu’au 3 août, le Palais des Beaux-Arts offre au grand public une introspection dans l’imaginaire de l’artiste belge contemporain Michaël Borremans. La puissance évocatrice de ses œuvres le place au premier rang des plasticiens de sa génération.
Une initiative majeure dans le paysage culturel européen.

Diplômé du Collège des Arts et des Sciences de Saint Luc à Gand, Michaël Borremans commence une carrière d’enseignant, de graveur et de photographe avant de se lancer bien plus tard dans la peinture. Ses premières expositions révèlent d’emblée un talent affirmé, une maturité artistique qui au-delà de l’esthétisme, renvoie au discours social, politique et culturel. Héritier de Velasquez, de Goya ou de Manet, influencé par la littérature, la photographie, le cinéma, la culture pop, l’œuvre de Michaël Borremans est la fois contemporaine et intemporelle. Sa peinture, qu’il qualifie lui-même de suggestive, ouvre l’espace imaginaire à la manière d’autres maîtres belges comme René Magritte ou Paul Delvaux. Mais que l’on parle de surréalisme, de réalisme magique ou de symbolisme pour qualifier ses compositions mystérieuses, sa signature inscrit la cassure, le rêve avorté.

Sous le pinceau de Michaël Borremans, le monde familier, réel, tourne autour de lui-même pour dévoiler son aliénation et ses plaies. Comme dans une représentation théâtrale, la réalité se colore d’une dimension absurde.
Les jeux de symétries, l’alternance entre représentations sérielles et détails intimistes pénètrent les zones frontières entre ce qui est exposé et ce qui est occulté. Il en résulte une impression de réalité figée, fragile, coulée dans une mélancolie et une tristesse diffuse. Son sens de l’espace et de la lumière font que toutes ses toiles gardent, en dépit d’un pessimisme et d’une déchirure évidents, une beauté fascinante et presque effrayante. Les sujets surgissent comme des natures mortes, stéréotypes d’hommes et de femmes, symboles fantomatiques d’un siècle où la désillusion l’emporte sur l’idée de bien-être. L’iconographie de Borremans s’approprie les cadrages et les plans cinématographiques au profit d’un langage pictural dans lequel les contrastes ne se focalisent pas sur les couleurs ("les couleurs fortes ont leur langage propre et cela ne m’intéresse pas", dit-il) mais sur les superpositions d’échelles de plans, sur les signifiants. Par le choix des angles, la fragmentation et la recomposition des images, il brise la quiétude des représentations et suscite un étonnement que l’on qualifie d’hallucinatoire. La mise en perspective des diverses facettes de son travail témoigne d’une construction déstabilisante où l’esthétique joue sur la pâleur des sujets en accord avec le climat brumeux de la Belgique, source d’inspiration pour l’artiste.

C’est en 2002 qu’il s’attèle à une série de travaux dont chacun est l’amorce d’une série d’images interconnectées et constamment revisitées sous forme de dessins, de toiles ou de films comme « The House of Opportunity » qui compte déjà 18 travaux autour d’une réflexion sur l’architecture vue comme la transposition du rêve et de la métaphysique du monde. Une démarche similaire sous-tend les projets « The Journey » ou « The Automat  ».

Michaël Borremans a commencé à travailler sur base de photos découpées dans les magazines ou prises sur Internet pour évoluer ensuite vers des modèles vivants qu’il dirige selon ses propres scénarios. Au fil du temps, il a développé une activité de cinéaste absente de narration, où le film fonctionne comme un tableau (v. The Storm – 2006), où les angles de prises de vue et les variations de la lumière sont les véritables protagonistes. Travailleur acharné, il aime s’imposer des rituels comme ceux d’inaugurer un costume neuf chaque fois qu’il entame une nouvelle recherche et d’éviter les contacts sociaux jusqu’à la touche finale.
http://www.rectoversomagazine.com/latelier-de-michael-borremans/

L’exposition « As sweet as it gets » est organisée en deux pôles : des tableaux à grande échelle et des toiles plus réduites et intimistes. Une centaine de travaux (peintures, dessins et maquettes provenant de collections privées et publiques) et 5 films explorent leurs relations mutuelles.

La Cinémathèque a offert à Michaël Borremans une carte blanche de quinze films. On y découvre parmi d’autres titres : L’obsédé de William Wyler, Inland empire de David Lynch, Frenzy de Hitchcock, Bellflower de Evan Glodell , Images de la vie de Douglas Sirk et… Le fils des frères Dardenne (à découvrir du 1er mars au 30 avril).

L’exposition quittera Bruxelles cet été pour s’installer d’abord à Tel Aviv, à Dallas ensuite.

Palmina Di Meo