Le film s’inspire du roman de Didier Decoin Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, lui-même tiré d’un fait divers américain des années 60. Une jeune femme est sauvagement assassinée et violée un soir par un tueur en série dans un quartier de Harlem. Pendant une demi-heure, elle va hurler et appeler au secours. 38 voisins et témoins entendent ses cris. Pas un ne va lever le petit doigt pour lui venir en aide.
Ce monument d’indifférence, Lucas Belvaux en fait un film qui s’articule autour d’un point de vue unique. Il fait le pari de ne rien révéler de la victime et des circonstances du crime. Son objectif est de pénétrer la conscience de ceux qui restent insensibles à la détresse. Il se focalise donc sur un seul témoin assailli par le remords. Comme si, au moment des faits, il avait été anesthésié et qu’il n’aurait réalisé qu’après coup. Son dilemme : se livrer à la police ou persister à dire qu’il n’a rien entendu, ainsi que l’affirment les 38 autres personnes. Pour retrouver l’estime de soi, il faut avouer. Mais il doit alors affronter la colère des autres qui préfèrent l’anonymat et refusent le scandale médiatique. La justice préfère étouffer l’affaire. On ne souhaite pas salir l’image du citoyen dans une affaire qui questionne un comportement de société.
En concentrant toute l’intrigue sur le conflit intérieur de ce témoin, très bien servi par Yvan Attal, et les répercutions de l’affaire sur sa vie de couple, le film ouvre une enquête sur un jugement moral. Comment ces voisins, bons pères de famille, ont-ils pu s’accommoder du drame qui se déroulait sous leur fenêtre ? Sans apporter de vraie réponse, le scénario se fige dans l’accusation par sa structure caricaturale. La rupture du couple en fin de parcours est elle-même un désaveu.
Le but du film n’est pas d’apporter des solutions mais de susciter des réflexions en occultant toute identification. Reste à savoir si le procédé est vraiment efficace. La reconstitution finale du crime nous immerge dans la réception sensorielle mais ne parvient pas à rendre la juste mesure des conséquences de l’inertie générale. Elle intervient comme une démonstration. La longue préparation préliminaire finit par desservir le sentiment d’urgence.
Au-delà du fait divers, 38 témoins interroge la part de responsabilité collective dans le non-interventionnisme. Nos sociétés, bien organisées, finissent par se désolidariser. Les problèmes sont réglés par des services appropriés. Pour y faire appel, chacun compte sur l’autre, présence fantomatique qui ne dérange personne.